Article rédigé avec Ludo Massin de Traileurz The Mag
Le cerveau est un organe peu connu, aux facultés incroyables. Traileurz The Mag a voulu pousser une porte, celle du subconscient. Jérôme Bruyas est praticien en hypnose Ericksonnienne, et traileur amateur. Il a pour patients des sportifs amateurs, mais aussi des professionnels. Des jeunes, des moins jeunes également. « L’hypnose n’a pas de frontières, si ce n’est celle que l’on s’infligerait ! » Comme tous professionnels du mental, il a une voix rassurante et posée : Ma curiosité est éveillée !
TraileurZ The Mag : A qui s’adresse ce type d’entrainements mental encore peu connu des sportifs francais ?
Jérôme Bruyas : « Le mental est un enjeu déterminant et crucial pour tous les niveaux de sportifs, certains disant même que la tête compte pour 80% de la performance voire plus sur les marathons et ultra trail. L’approche mentale est beaucoup plus expérimentale, méconnue voire ignorée en dehors du monde professionnel. Alors que nous avons tous en tête et sous nos yeux des exemples de sportifs utilisant une de ces techniques, par exemple des skieurs avant leur descente qui, les yeux fermés, mentalisent leur descente ou que Teddy Riner a publiquement expliqué ce que cette préparation mentale lui avait apporté. »
T.T.M : Nous sommes tous « légèrement » réfractaire à ce qu’on connait peu… Comment fonctionne l’hypnose ?
J.B : « (Rires) L’hypnose est une pratique mais aussi un ensemble de techniques et d’outils qui permettent de questionner et reprogrammer notre représentation mentale face à une réalité perçue. Cela permet aux sportifs notamment de combattre des comportements limitants (dormir la nuit avant une course, bouffées d’angoisse au départ, …) et d’améliorer des astuces mentales courantes (se visualiser avec la médaille ou le TShirt finisher par exemple) utilisées naturellement. L’hypnose est un état naturel que chacun expérimente plus ou moins inconsciemment tous les jours, qui permet de se reprogrammer avant, pendant et après la course en utilisant nos émotions, souvenirs … »
T.T.M : Vous entrainez mentalement des coureurs d’exception comme Cédric Gazulla (champion de France sur 100km 2018, 2ème sur les 100km de Millau 2018 NDLR). Comment les faites-vous progresser ?
J.B : « Sur les personnes sportives, l’avantage est qu’ils assimilent plus vite les séances d’auto hypnose, dû à la rigueur de leur préparation physique quotidienne. Nous faisons 50 % du travail en cabinet, le reste se fait « seul ». Concernant la course à pieds particulièrement, nous travaillons en cabinet ou en nature sur trois grands axes :
Avant course, nous travaillons sur la motivation, la confiance en soi, les blessures et même sur les gestes techniques. Par expérience, l’épreuve qu’on me demande de modifier se rapporte à l’appréhension en descente. L’hypnose nous permet de mieux les appréhender, de réduire les blessures qui peuvent être engendrées et d’améliorer son chrono par exemple. Pendant la course, nous travaillons essentiellement sur l’usure mentale et la gestion de l’effort. Tous les coureurs que je côtoie me confie qu’une douleur d’apparence physique est très souvent accentuée dans les moments difficiles d’une course, le cerveau prenant le relais et engageant le coureur dans un cercle vicieux. Plus on y pense, plus on a mal ! Avec de l’entrainement psychique, nous arrivons à « éteindre » au sens figuré cette douleur. Cyrille Gazulla reporte qu’au 68ème km de Millau, à un moment difficile de la course, il a placé ses mains en méditation sans savoir pourquoi, et cela lui a redonné l’énergie nécessaire pour faire baisser la pression et retrouver des ondes positives.
Après la course, nous travaillons sur la redescente émotionnelle et la récupération de sommeil. Tous les sportifs ressentent une part de culpabilité lorsqu’ils laissent leur famille de longues heures pour leurs entrainements ou courses. Cette gestion émotionnelle est primordiale avant course, mais également après, pour vivre sereinement sa passion ou son métier. »
T.T.M : J’imagine que vous ne suivez pas tous les coureurs dans leurs exploits, alors comment faites-vous pour qu’ils « s’auto-hypnotisent » pendant une course par exemple ?
JB : « (rires) En dehors de la séance de cabinet classique, j’utilise deux outils principaux : l’ancrage et l’auto hypnose. Le premier outil de l’ancrage consiste principalement, pour ceux qui se rappellent plus jeunes avoir étudié les expériences des chiens de Pavlov ou lu avec plus ou moins de passion Proust et sa madeleine, à générer une sensation à partir d’un stimulus généralement tactile (kinesthésique). Par exemple, un coureur qui en montée a une impression d’étouffement, de déclenchement d’asthme d’effort peut « ancrer » (= reprogrammer un comportement, une croyance, …) une autre sensation positive, ici en l’occurrence le coureur a reprogrammé la sensation en descente thorax ouvert et sensation de légèreté en fermant sa paume. C’est le même type d’outils utilisé par exemple pour reprogrammer une sensation d’aisance en descente pour remplacer la sensation de courir sur les talons en ayant peur.
Le deuxième outil est l’auto hypnose. Dès la première séance, je souhaite que le coureur soit autonome car je ne serai pas toujours physiquement présent pendant leurs épreuves. Nous faisons une ou deux séances en cabinet pour apprivoiser et expérimenter l’état d’hypnose ensemble puis la personne repart avec des exercices et des instructions ciblées. C’est un outil qui marche très bien avec les coureurs, sur une analogie assez simple : les exercices d’auto-hypnose sont constituées de trois phases comme les programmes d’entrainement : échauffement, séance de fond, retour au calme. Ces exercices sont faisables soit au calme (canapé, avant de s’endormir) soit dans des endroits bruyants afin de recréer et préparer une utilisation en conditions de courses et ligne de départ. »
T.T.M : Pour conclure ?
J.B : « L’hypnose est un moyen pour progresser, se sentir mieux dans ses efforts et retrouver un certain équilibre socio-sportif indispensable aux professionnels comme aux amateurs ! »